Des femmes et des hommes issus de l’immigration parlent de leurs langues :
l’arabe, le bambara, le penjabi, le créole et le français
Voici quelques vannées, dans le cadre d’un projet d’exposition, j’ai été amené à côtoyer les pères et les mères des enfants avec lesquels je travaillais.
Nous avons échangé, je les ai écoutés.
Une francophonie au quotidien, au fil des continents, des vies, des origines.
Mots d’adultes qui nous parlent d’évidences, de rencontres, d’amour, de déchirures…
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« Je suis née à Amritsar au Penjab. J’ai quitté l’Inde à 18 ans pour rejoindre mon mari. Rien n’a été facile, loin de mon pays, ma famille, et cette langue que je ne comprenais pas.
Mes enfants sont nés ici. Ils ont 10, 12 et 14 ans. Nous les avons appelés Kevin, Aryan et Taniya pour la petite dernière. C’est moi qui ai choisi son prénom. C’est un beau prénom.
A la maison on parle hindi, plus exactement penjabi. Mes enfants le parlent, très bien même, mais ne l’écrivent pas. Le français est devenu leur langue, celle dans laquelle ils s’expriment et écrivent.
J’ai 32 ans. Le français, je sais aujourd’hui le parler et l’écrire. J’ai travaillé, j’ai pris des cours. C’est un rêve qui s’est réalisé, je n’y croyais pas.
Et j’en suis très fière ».
Manta, 32 ans, née au Penjab
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« Bien avant ma naissance, mon père a quitté Kela son village. Là-bas on parle sounike. C’est une langue que je n’ai jamais connue car je suis né à Bamako. Ma langue maternelle, c’est le bambara.
A l’école franco-arabe, j’ai appris l’arabe et le français.
Je parle aujourd’hui ces trois langues mais celle dans laquelle je pense, je rêve, que j’ai en moi, c’est le Bambara.
Mes 6 enfants sont nés en France.
La langue de l’enseignement, c’est le français, alors bien sûr c’est leur langue mais à la maison, on leur parle Bambara.
Alors ils ont ces deux langues comme langue maternelle.
Ces deux langues qui les font grandir, qui ne s’opposent pas, qui se complètent, le français en France, en Afrique et ailleurs et le Bambara au Mali, en Guinée, au Burkina, en Côte d’Ivoire.»
M. Diawara, né au Mali
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« Je suis née en 1967 à Annaba.
Ma langue maternelle est l’arabe mais j’ai appris le français très tôt, à la maison où j’évoluais, aux côtés de ma tante et de mes grandes sœurs, dans un environnement «francisant», puis à l’école.
J’ai fait mes études dans ces deux langues, puis je suis devenue avocate et j’ai exercé durant quatre ans.
A 32 ans je quitte l’Algérie. Je me marie, ai des enfants, garçons et filles.
Aujourd’hui ils ont 18, 17, 13 et 9 ans et sont parfaitement bilingues. Ils ont appris l’arabe à la maison et en cours du soir.
Entre eux ils se parlent en français et à moi en arabe, uniquement. Sauf ma dernière, Lina (qui signifie en arabe «Palmier au Paradis») et là je ne comprends pas, bien qu’elle le parle, l’écrive, le lise sans difficulté, à moi elle ne répond qu’en français … je ne sais pas…
Vous me posez cette question étrange :
– « Dans quelle langue pensez vous ?» …. «En français …»
– « Dans quelle langue rêvez vous ?» …. « Je vous répondrais, la langue du Coran …»
Et, voyez vous, c’est ce que j’essaye de transmettre à mes enfants, ce qu’il y a de meilleur, comme une double culture ….»
Hesni, née en Algérie
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« Je suis née en France mais mes racines familiales sont à l’île Maurice. De ce fait je possède la double nationalité. Là-bas nous parlons couramment le français mais je l’avoue avec un accent particulier.
D’ailleurs le créole mauricien est à base de français. C’est pourquoi je me suis très bien intégrée dans les deux pays car le fil conducteur était le français.
Étant née en France, la question de l’intégration ne se posait pas vraiment mais ce lien entre les deux langues m’a réellement permis, comment dire, de ne pas perdre le contact avec cette autre partie de moi-même qui se trouve là-bas.
Créole et français, français et créole, ce sont si vous voulez mes deux supports linguistiques, ceux qui me portent d’un pays, d’une culture à l’autre ».
Shazia, entre France et Maurice