les français et les langues

Les Français et les langues

On tient pour habitude, sous prétexte d’enquêtes largement relayées par les médias, de présenter les Français comme les mauvais élèves dans l’apprentissage des langues.
Rien n’est plus faux selon moi, dans un domaine où l’on aurait tout à gagner à faire preuve de davantage d’esprit critique.

***

Les Français ne sont pas bons en langues. Ils passent même pour réfractaires.
L’idée, relayée par la presse, est globalement admise par l’opinion publique tant elle correspond à quelque chose de déjà entendu ainsi peut-être qu’à l’image que les Français se font d’eux-mêmes. 

Une enquête, en date de 2012 dite «Surveylang», chargée d’évaluer les compétences en langues étrangères au sein de l’Union européenne est à ce titre fréquemment citée [1].
Elle est celle d’ailleurs qui alimente l’essentiel des articles de presse et par voie de conséquence l’opinion ainsi que la communication gouvernementale elle-même [2].

Compréhension à al lecture et à l'expression écrite en langue étrangère dans l'enseignement secondaire Surveylang - 2012
Compréhension à la lecture et à l’expression écrite en langues étrangères ou plutôt en anglais   Surveylang – 2012

Des indicateurs de compétence linguistique d’une fausse neutralité

15 éme sur les 16 pays ou plutôt entités administratives européennes retenues, avec une «proportion d’élèves atteignant un niveau d’utilisateur (jugé de niveau B1 au regard du CECRL) de 14 %», la France est présentée comme en retard dans l’apprentissage des langues par rapport à ses voisins.
Le 16 éme étant l’Angleterre, ce qui n’apparaît d’ailleurs que de façon marginale, la France étant généralement présentée comme la dernière.

Le problème, c’est que l’enquête n’est abordée que par rapport à la première langue enseignée, en l’occurrence l’anglais, retenue comme seul indicateur de référence.

Langues étrangères, synonyme : Anglais. Photo : Yvon Pantalacci. Nov 2019
Comment progresser en langue étrangère, ici au singulier, autrement dit en anglais. Photo : Yvon Pantalacci. 

Aucun mot pour la deuxième langue pour laquelle les rapports sont souvent inversés, ce qui est le cas pour la Suède qui devient alors bon dernier avec un niveau d’utilisateur de 4 % et la France qui, inversement, voit son classement modifié avec une langue, l’espagnol, naturellement plus favorable.

Même logique de confusion avec la publication d’une enquête, toujours anglo-saxonne, «Education First», qui examine les compétences, en anglais, de 72 pays et place la France au 29 éme rang sous le titre «Pourquoi les Français sont-ils si mauvais en … langues étrangères ?» [3]

Un bilinguisme de juste équilibre ?

Car si les Français ne sont pas bons en langues, autrement dit en anglais, d’autres le sont et bien meilleurs qu’eux.

Quatre pays d’Europe du Nord (tous de langue germanique) Suède, Norvège, Danemark et Pays-Bas sont plébiscités dans ces mêmes enquêtes pour leurs compétences en «langues étrangères» c’est à dire, là encore, en anglais.

Europe du Nord dans laquelle ce bilinguisme, tant vanté, semble pourtant révéler ses effets pervers et masquer un processus d’identification à un univers économique, social ou culturel dominant que nos voisins semblent s’être assigné comme modèle.

Le constat est en effet unanime, notamment au Danemark, d’un recul voire d’un quasi-effacement de la langue nationale au profit de l’anglais.

Les exemples sont nombreux et, s’il n’était leur côté dramatique, pourraient prêter à sourire, d’un anglais devenu langue du quotidien en lieu et place de la langue locale dans des domaines aussi essentiels que l’enseignement ou le travail :
Tendance à l’adoption de l’anglais comme langue d’enseignement et à la relégation du danois au rang de simple langue enseignée, cas désormais généralisés d’entreprises danoises recrutant en anglais des employés danois pour un travail au Danemark, etc. [4]

Un modèle asiatique à reconsidérer

Autre modèle dont nous savons, au besoin, nous réclamer, celui de l’Asie et en premier lieu de la Chine dont les velléités d’ouverture sur le plan linguistique n’échappent désormais à personne.

La Chine et ses insuffisances pédagogiques

Une Chine en quête de reconnaissance linguistique mais peu accessible, semble-t-il, aux langues étrangères :

« Nombre de didacticiens français constatent que les apprenants chinois paraissent assez timides par rapport aux apprenants européens en classe de langue ».[5]

Des échos tous concordants et, que l’on se situe au niveau des politiques d’enseignement ou à celui des apprenants eux-mêmes, l’apprentissage des langues étrangères ne semble pas être au cœur des préoccupations de l’Empire du milieu et de ses 1, 4 milliard habitants.

Plusieurs raisons, pédagogiques tout d’abord, avec une méthode d’enseignement des langues désormais révolue [6], mais également géo-stratégiques à travers une politique linguistique éducative assujettie aux alliances diplomatiques et à leurs revers, russe tout d’abord, puis, à l’époque de Zhou Enlai, française et désormais anglo-saxonne avec, pour cette dernière, son cortège d’ambivalences avec une politique de souveraineté très affirmée à l’égard des GAFAM.

Ma fille achève un cycle universitaire à Taïwan où elle a effectivement constaté ce manque d’intérêt (global évidemment, il n’est jamais question d’individus) de la part des étudiants, chinois, cambodgiens ou japonais notamment.

Deux exceptions toutefois, Taïwan, pour des raisons peut-être avant tout culturelles, Taïwan et le mandarin, le minan ou le hakka sans oublier ses langues aborigènes ainsi que Hong-Kong avec l’anglais évidemment, le cantonnais et le mandarin.

Le Japon et la perception de l’autre

Terminons par un Japon archétype de la société fermée, pour lequel le trait est encore plus accusé, symptomatique d’un regard posé tout à la fois sur le monde et sur l’individu lui-même.

Et des observateurs s’accordant non plus sur les insuffisances mais sur les carences des apprenants en langues étrangères et un niveau que les japonais eux-mêmes qualifient de « médiocre ». [7]

Tout comme pour la Chine, est montrée du doigt une méthode depuis longtemps décriée, les réformes restant lettre morte et paraissant se heurter à un obstacle autrement infranchissable, celui de la perception de la langue, objet non de « communication interpersonnelle mais plutôt ensemble d’outils utilisé par des Japonais pour les Japonais » et partant de là, de la perception de l’autre. [7]

Qui est en effet allé au Japon n’a pu qu’être surpris par l’étrange utilisation faite de nos langues, anglais et français notamment, «codes signalétiques», «motifs décoratifs», «moyens iconiques de transposer des notions japonaises», comme si la langue de l’autre perdait ses attributs de «langue réelle, employée par des personnes réelles». [8]

Rien de surprenant dès lors dans cette remarque, chargée d’amertume, de Torikai Kumiko :

« Ils ne comprennent pas ce qu’ils lisent … et par conséquent sont aussi incapables de le comprendre à l’oral, de l’écrire ou de le parler ».

Des Français entre suffisance et incapacité  physiologique

Mais il serait bien maladroit de compter sur les excès ou les insuffisances de nos voisins pour nous exonérer.

Car leurs fautes, si fautes il y a, ne diminuent en rien les nôtres et il demeure bien établi que nous sommes mauvais.

Et comme en toute chose où l’on cherche à justifier ce que l’on entend démontrer, on n’hésite pas, ici comme ailleurs, à appuyer cette conviction par une démonstration scientifique.

La dernière en date semble reposer, non plus sur une quelconque suffisance, arrogance pour être exact, mais sur une véritable impossibilité, majeure cette fois-ci puisque physiologique.

Les langues en effet ne se différencient pas uniquement par leur alphabet, leurs formes grammaticales ou syntaxiques mais, dans leur forme orale, par des fréquences qui leur sont propres.
Là réside peut-être leur différence essentielle tant les spécialistes s’accordent sur le fait qu’il n’y a pas deux langues identiques d’un point de vue acoustique.
Des gammes différentes, plutôt basse (de 1000 à 2000 hertz) pour le français tout comme (entre 1000 et 3000) pour l’espagnol et l’italien, mais bien plus large et plus haute (de 2 000 à 12 000 hertz) pour l’anglais et bien plus encore (de 2000 à 18000) pour les langues slaves, le russe en particulier.

D’où une propension à reproduire, discriminer et percevoir les sons que nous savons émettre et une facilité, très naturelle pour un Français à parler et comprendre l’italien et l’espagnol, toutes à bande passante comparable ainsi, dans une logique identique, que cette difficulté éprouvée face à l’anglais et ses sons très aigus auxquels notre système auditif n’est que peu sensibilisé.

Beaucoup plus hasardeux en revanche ce raccourci en forme de jugement, très courant aujourd’hui et dans lequel nous nous complaisons, sur des Français, peu accessibles à l’anglais nous l’avons vu et donc, oubliés espagnol, italien et autres langues romanes, physiologiquement inaccessibles non à une langue en particulier mais à toutes en général.

Un pays véritablement plurilingue 

Une perception où le prisme de l’anglais langue unique semble fausser le raisonnement et occulter là encore, dans un domaine où l’on n’est pas à une contradiction près, le regard que les Français posent sur eux-mêmes.

Car la France n’est-elle pas, en effet, un pays fondamentalement plurilingue ?

75 langues « territoriales » officiellement recensées [9], une vingtaine en métropole et une cinquantaine outre-mer, proportion faisant de la France et de très loin, le pays d’Europe le mieux doté.

Plurilinguisme renforcé par un nombre considérable de bi-nationaux, le plus souvent bilingues, dont les compétences en arabe, mandarin, portugais ou autres langues africaines peuvent s’avérer précieuses pour des entreprises en quête de marchés, quand bien même, tient-on à nous le répéter, les lois du commerce ne seraient-elles régies que par une seule et même langue.

Compétences et richesse dont nos voisins scandinaves, pourtant érigés en modèles sont, pour l’essentiel, dépourvus.

Un raisonnement qui, rapporté à l’enseignement, peut être reconduit à l’identique, avec un enseignement à la française considéré, de la maternelle à l’université, comme modèle dans nombre de pays étrangers où il bénéficie d’un prestige sans commune mesure avec les critiques dont il fait l’objet sur son propre territoire.

Rares sont en effet les pays proposant pas moins de 24 langues  en fin de second cycle.
Et sans équivalent un établissement tel qu’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales), reconnu pour la qualité et, du bambara au yoruba, du nahuatl au tzeltal en passant par le birman, le tibétain, le kirghiz ou le persan, la diversité de son enseignement.

INALCO - Photo : Yvon Pantalacci. Novembre 2019
INALCO – Photo : Yvon Pantalacci. 

La langue «hyper-centrale» et le regard sur soi

Quant aux anglo-saxons, ils sont par définition exclus de leurs propres classements.
On n’est pas sa propre référence.
Après tout, ils en ont le droit.
L’Europe entière (ou presque) parle anglais.
Résultat : 4 % des élèves inscrits en langue étrangère en fin de secondaire.
Pourquoi se compliquer la vie ?

« The Economist », le journal de l’élite anglo-saxonne mondialisée, semble pourtant les inviter à davantage de prudence au risque de voir s’aggraver la désaffection des entreprises et organisations internationales pour des candidats anglophones très majoritairement unilingues.

 

Yvon Pantalacci – Mars 2022

[1] Surveylang : consortium européen placé sous la coordination de l’université de Cambridge.
Rapport final, disponible exclusivement en anglais, remis à la Commission Européenne en juin 2012.
[2] «Propositions pour une meilleure maîtrise des langues vivantes étrangères». Ministère de l’éducation nationale. Septembre 2018.
[3] Notamment B.F.M TV. 27 septembre 2017.
[4] https://yvon-francophonie.com/2020/05/31/langlais-langue-de-substitution-2/
[5] Wei Zhou Institut des langues étrangères N°2 de Beijing, Chine Synergies Chine n° 6 – 2011 :
https://gerflint.fr/Base/Chine6/zhou.pdf
[6] Les politiques linguistiques éducatives des langues étrangères dans la nouvelle Chine. Hui. 08/02/2018 : https://arlap.hypotheses.org/10849
[7] Le mauvais enseignement de l’anglais au Japon. Torikai Kumiko. Société. 04.09.2018 :
https://www.nippon.com/fr/currents/d00412/?pnum=1
[8] La notion de langue étrangère au Japon et ses conséquences pour l’enseignement en classe de langue. Jean-Luc Azra. 2017 :
http://repository.seinan-gu.ac.jp/bitstream/handle/123456789/1496/fr-n60-p1-30-azr%20.pdf?sequence=1&isAllowed=y
[9] Rapport Cerquiglini sur « Les langues de France ». Avril 1999.https://www.vie-publique.fr/rapport/24941-les-langues-de-france-rapport-au-ministre-de-leducation-nationale

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